CHOIX ET VISION.

Les articles Le vrai débat et Les tendances macro économiques ont suscité un échange avec un vigneron bordelais qui a accepté de le voir reproduit ici.

Pourquoi nos chais sont-ils pleins ?

Je vous remercie pour l’ensemble de ces informations et je me pose la question suivante : s’il manque de volume, pourquoi nos chais sont encore pleins ?

J’ai plutôt l’impression que c’est le manque de volume des vins étrangers (c’est-à-dire nos concurrents) qui manque. Car lorsque je vois que la part de marché de la France passe de 25% à 15% en 10 ans (1998-2008) et que nous n’arrivons plus à décoller aujourd’hui, je me dis mais qu’avons-nous raté ? Qu’est ce qui fait que nous n’arrivons plus à vendre ? à exporter ?

Nous avons fait le choix (Français) de la valeur plus que du volume. Et cette valeur Française, est-elle toujours légitime aux yeux des consommateurs ? Certainement pour les vins de luxe, image portée par LVMH et d’autres mais qui n’arrive pas à s’étendre à l’image des vins à moindre valeur (c’est un peu comme les marques de voiture de formule1 et de Mr Tout Le Monde : on explique que les savoir-faire de la F1 permet d’améliorer les voitures de moindre valeur)  Mais   nous  n’arrivons pas à le faire (ou le faire-savoir) avec le vin… Pourquoi ?

Je crois plutôt que c’est le volume par unité de production qui est déterminant (le volume/ha).

Et je vous suis totalement sur ce point. C’est bien lorsque nous produisions 70 hl/ha en appellation que nous nous en sortions (fin des années 90).

D’ailleurs les rendements en Champagne et en Cognac sont excessivement élevés et ces deux appellations sont en pleine forme.

Restent les questions :
-macro : j’entends le manque de stratégie nationale. Mais comment voyez vous qu’elle soit mise en place en France ? Ne faudrait-il pas qu’elle soit Européenne ? Et Bordeaux dans tout ça ?

-micro : quid de nos myriades d’appellations à Bordeaux ?

Changer de manière de voir.

Je suis en accord avec tous les points que vous soulignez.

Pour répondre à vos questions « stratégie nationale (…) comment voyez vous qu’elle soit mise en place en France ? Ne faudrait-il pas qu’elle soit Européenne ? », « Et Bordeaux dans tout ça ? », « Quid de nos myriades d’appellations à Bordeaux ? », je commencerai par la problématique des chais pleins alors qu’il manque de volume.

Depuis longtemps maintenant, le marché n’est plus un lieu d’offre et de demande ; le vin n’étant plus une boisson alimentaire mais un produit occasionnel voire culturel, il ne ‘manque pas’ si nos vins sont absents des rayons ; le consommateur achète autre chose, un substitut (une autre boisson, thé, soft, eau minérale, alcool, etc.) ou une autre expérience culturelle (cinéma, théâtre, etc.).

L’équilibre offre – demande qui structure nos choix collectifs n’existe donc plus, ce qui explique à la fois nos échecs de régulation de l’amont et le paradoxe que vous avez mis en exergue.

Personne ne vient (plus) toquer à notre porte pour acheter nos vins même si le marché présente des ruptures (dans certains pays) ; cela est valable pour tous les producteurs de France et du monde.

La stratégie nationale de nos concurrents vient de choix politiques qui sont pris soit par l’état soit par une organisation professionnelle nationale : le ministère de l’agriculture, France Agrimer ou l’INAO, la FEVS,… les instances ne manquent pas pour la définir en France et la piloter ; manque semble-t-il une volonté.

En Europe, la PAC et le commissaire à l’Agriculture et au Développement rural gèrent 45% du budget commun ; je peux vous dire qu’ils cadrent un certains nombres de décisions réglementaires (droits de plantation ou/et d’arrachage, pratiques oenologiques, étiquetage, etc.) et distribuent l’enveloppe de l’OCM vin (270 millions d’€ en 2022 pour la France) ! L’argent public est massif dans la filière.

Mais l’écrasante majorité est dédiée à l’amont (équipement) ; comme au niveau individuel, l’investissement aval (commerce, marketing) reste très (trop) faible.

Si l’on se réfère aux études de compétitivité (à retrouver sur mon site) menées par France Agrimer entre 2001 et 2017 (hélas arrêtées depuis), la France est toujours compétitive … sur tous les aspects, sauf sur sa capacité à conquérir les marchés.

La myriade des appellations n’est pas propre à Bordeaux : pour répondre aux attentes des consommateurs sur l’origine des vins et leur unicité, tous les pays metteurs en marché multiplient les signes ou distinctions de cette origine. Le choix, sa complexité ne sont pas un problème mais ils obligent à expliquer : encore une approche marketing délaissée, l’argumentaire, l’adoption et la communication d’un discours compréhensible et qui réponde aux questions que se posent les consommateurs, en le différenciant selon les pays et leur culture.

Le CIVB a adopté deux plans stratégiques (Bordeaux demain et ambition 2030) de très bonne facture : le premier donnait (entre autres) un cadre au positonnement des vins, le second fixait l’objectif de reconquête volumique des marchés perdus ; ils n’ont jamais été appliqués.

                 

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