UN PRODUIT QUI N'EXISTE PAS...
... qu'est ce que le vrac ?
Les échanges de vin s’effectuent et se mesurent souvent en « vrac » ; si son unité est bien définie (l’hectolitre dans toutes les régions hors Bordeaux – sud-ouest où l’on parle de tonneaux soit 9hl), sa valeur, publiée par les syndicats et interprofessions, pose question.
Peut-être d’abord, parce que le « vrac » ne caractérise pas un produit : personne ne consomme de « vrac » ; surtout, aucun consommateur ne perçoit ce dont il s’agit : car le « vrac » reste virtuel. Il n’est qu’une étape de transaction sur le chemin du produit fini, qu’il soit bouteille, Bag-in-box © ou kegs.
L’achat du « vrac » se déroule entre un producteur et un intermédiaire qui fera ensuite la mise (le transfert du vin dans le contenant final). C’est bien le montant de cette vente qui fonde le « cours » (la valeur du « vrac »).
Ces dernières campagnes, le « cours » baisse dans la plupart des régions pour s’établir bien en dessous des coûts de revient.
Ainsi en Loire, l’AOC Touraine rouge s’est repliée de 10% à 130,29€ l’hl quand la Chambre d’Agriculture du Loir-et-Cher en estime le coût de revient à une moyenne de 198€ (164€ si l’on monte le rendement à 65hl/ha), 52% plus cher !
En Gironde, la Chambre l’évalue à 143,9€/hl (au plus bas) quand le cours de l’AOC Bordeaux clôture sa campagne à 104,4€ (38,5% manquent pour arriver à l’équilibre).
On peut multiplier les exemples (Vaucluse, Languedoc, Alsace, …), chaque fois qu’existe un outil qui formalise le seuil de rentabilité d’un vin, le « cours du vrac » se situe 30 à 50% en dessous. On comprend l’impossibilité d’établir de bonnes relations entre vigneron.nes et négociant.es et les revendications de plus en plus violentes qui fusent dans les régions !
... peut-il avoir un prix ?
Si l’on en reste là, soit le prix du « vrac » ne peut pas exister puisqu’il ne s’agit pas d’un réel produit. Soit il conduit à un rapport de force offre – demande dont on constate sur le temps long qu’il se fait au détriment de la production. Pour le minimiser, on tente d’établir des contraintes ; ce système, mélange de politique et de réglementation, ne fonctionne pas.
Alors ? Pourquoi ne pas essayer de définir ce qu’est le « vrac » pour, en s’appuyant sur les coûts de revient économiques, lui donner un prix au moins comme base de négociation.
Si le « vrac » est une étape du produit, partons du produit. Et puisqu’il est le plus souvent une bouteille ou un BIB, que le circuit le moins cher est la grande distribution et qu’elle est scrutée par des panels… partons du PVC moyen d’un AOC en GD.
Le Touraine rouge se vend 4€, le Bordeaux rouge 4,32€ les 75 cl en bouteille (3,35€ en BIB) en moyenne annuelle 2023.
Là commencent les calculs ; en voici un exemple pour le Bordeaux :
PVC 4,32€ TTC
marge de la GD 1,65 = 2,62€ HT départ
marge du négoce 40% = 1,87€
frais de mise exclus = 156€ l’hl (1 404€ le tonneau) soit 8,3% au-dessus des coûts de revient et 50% plus haut que le « cours du vrac » !
D’une même origine, selon la destination du vin, le calcul va se différencier de façon large. Ainsi, pour l’IGP Pays d’Oc, une bouteille de marque à 3€ donne 107€ l’hecto pour la vigneron, quand celle en bio à 7,5€ permet une rémunération à 280€ / hl ; le BIB de 5 litres de MDD (marque du distributeur) à 15€ se valorise lui à 125€/hl ; des écarts de 162% !
Et que dire des mêmes vins écoulés chez des cavistes, en restauration… ou à l’international, selon les pays ?
Bien sûr, cela laisse la place au débat, à la discussion… bref à l’échange normal lors d’une transaction.
Le partage de la valeur ne peut que s’effectuer sur la transparence du profil produit, du circuit et du PVC final. Là est le vrai prix du vrac.
Sources de l’article :
-InterLoire campagne 2023-24 ;
-référentiel du vigneron Centre-Val de Loire 2020-24 ;
-référentiel économique du vigneron Gironde 2022 ;
-CIVB Conseil Interprofessionnel des Vins de Bordeaux ;
-panel distributeur CIRCANA (ex-IRI).