AMONT, AVAL, UN RÉEL A RÉPARER.

Le vin pas à pas

Bilan d'une situation hors normes.

Tirer les enseignements d’une crise « à chaud » a tout d’une gageure ; l’analyser et en tirer une stratégie pour demain, revient à oser prendre un risque majeur de se tromper. Néanmoins, ce qui se déroule sous nos yeux me semble suffisamment important pour tenter le coup.

Le Covid-19 ne sort pas de nulle part : comme quelques esprits éclairés l’avaient prévu, les coronavirus symbolisent les conséquences d’actes et de choix humains non maîtrisés. C’est la détérioration de l’habitat naturel des animaux, la sur-concentration des activités humaines, la spécialisation du travail poussée à l’absurde qui, conjugués à des déplacements à l’échelle mondiale ultra-rapides et souvent non fondés, permettent la transmission de maladies nouvelles vers l’homme et leur propagation quasi instantanée sur la surface du globe. Notre économie, notre toute puissance supposée se trouvent mises à genoux par un minuscule virus qui aurait dû sans cela ne jamais se manifester à nous.

L’agriculture (et donc la viticulture) que nous retrouvons aujourd’hui dans sa fonction première, apporter une alimentation saine qui participe à notre bonne santé, peut donc sortir par le haut de ce moment de sidération collective.

L'amont : des hommes, un environnement, une origine.

La vigne, comme toute autre plante, exige une quantité de travail humain saisonnière, qualifiée et fatigante : depuis des années, par facilité, par souci d’économie, cette main d’oeuvre a trop souvent été externalisée, confiée à des sous-traitants, à des étrangers mal payés et peu regardant sur leur condition d’activité. Cette dérive mercantile a conduit à une pénurie alors même que les bassins d’emploi locaux voyait s’envoler leur taux de chômage, que des milliers de jeunes urbains ignorants des métiers de la terre, désertaient les formations agricoles.

Il convient aujourd’hui de :
-renouer le lien entre les lycées agricoles et leur territoire, pour attirer les collégiens, préparer les générations futures, permettre les transmissions. Cet axe exige que la formation agricole ne soit plus déconnectée du ministère de l’éducation nationale ; les deux administrations s’ignorant, les informations ne circulent pas bien entre l’enseignement général, technique ou professionnel et l’enseignement agricole.
C’est aux chefs d’entreprises de la filière de s’emparer de ce sujet vital pour leur avenir.

-le travail doit être sécurisé pour retrouver sens et attractivité ; la polyvalence permet à un ouvrier de passer d’une production à l’autre tout au long de l’année et de limiter ainsi ses périodes sans-emploi ; un contrat de travail imitant celui des intermittents pourrait être demandé.
Le recours à la prestation extérieure et surtout à une main d’oeuvre étrangère doit être sur taxé, les contrats de ces précaires alignés sur les minimas sociaux.

La transformation environnementale ne doit pas rester une option mais devenir un objectif collectif loin du « green washing » : la norme minimale est une production bio qui peut donc être dépassée ; plus de chimie, un développement de la polyculture, de l’agrobiologie et de l’agroforesterie, une mesure de l’impact du travail sur l’environnement global (faune et flore) et de l’empreinte carbone, … sont à minima les éléments à prendre en compte.

Pour arriver à des objectifs ultra ambitieux, trois axes sont à mettre en oeuvre :
-dans la formation initiale, le travail et la connaissance de la terre, du sol doit être un fil conducteur permanent ;
-les installations et reprises ne sont financées que dans ce cadre ;
-surtout, vignerons comme paysans ne doivent plus ni se victimisés, ni être dénoncés comme pollueur : c’est à la force publique de subventionner massivement et dans des délais très courts (5 ans maximum), les équipements, formations, accompagnements à cette transformation.

Les agriculteurs n’ont fait que suivre la politique nationale co-construite depuis des décennies entre le gouvernement et la représentation syndicale. Ils ne sont pas comptables des résultats de cette politique, ils en sommes même trop souvent les premières victimes. Nous devons donc leur redonner tous les moyens (« quoi qu’il en coûte ») pour se réapproprier leur métier, moderne, productif mais inscrit dans une logique évidence de préservation de leur outil de travail, la nature.

Le produit final, le vin élevé au chai, reste lui aussi le fruit de choix politiques collectifs : la France a par son histoire, un modèle simple, reconnu partout, de vins de terroir. Ses vins traduisent une identité locale visible par des signes de reconnaissance légaux et de qualité (IGP, AOC).

Cette origine recèle la valeur des vins et la capacité des vignerons de vivre de leur travail : s’en éloigner comme on le (re)voit de plus en plus ces dix dernières années, se laisser aller à la facilité de l’uniformisation, de l’industrialisation, de la recette technologique systématique (thermo vinification, copeautage, …) tuent notre capacité collective à séduire le consommateur.

Les signaux d’alerte – perte de reconnaissance à l’international, baisse de notoriété en France des grands appellations, difficulté à affronter la concurrence – se sont multipliés. Il est temps de recouvrer la raison et de défendre la viticulture comme révélation et expression du sol, de son terroir.

Les « faiseurs », les œnologues, les consultants, les sommeliers, … aident, conseillent, accompagnent mais ne se substituent pas au vigneron ; le terroir demeure une « terres considérée du point de vue de la nature du sol qui communique un caractère particulier aux productions » 1. Rien d’autre.

Les cahiers des charges souvent trop administratifs et castrateurs d’innovation, limitatifs en terme de rendement au-delà de toute raison tant économique que qualitative, sont à rénover.

L'aval : tout pour le consommateur.

On ne produit un vin que pour qu’il soit bu. La crise nous montre l’importance et la nécessité incontournables du lien producteur – consommateur, de la légitimité de l’origine. Un vin n’est acheté que lorsqu’il est compris ; il se revend parce qu’il a tenu ses promesses initiales ; il devient vecteur de fidélisation quand il trouve sa place en permanent dans le circuit de vente.

Ces évidences oubliées qui ont provoquées l’éloignement entre les vignerons et leur(s) marché(s), offrent des perspectives enthousiasmantes de refondation commerciale :
-expliquer le produit ; foin des prescripteurs et entremetteurs supposés, de la promotion ; la communication au contact du consommateur est la solution accessible à tous pour convaincre, séduire et provoquer l’acte d’achat. Le moment de consommation doit devenir la priorité de cette explication ; adapté à chaque pays, à chaque culture, à chaque génération, elle offre un gisement de croissance possible immense.
-réinventer la vente : le vigneron est son meilleur commercial ; à lui de s’approprier ce métier, de ne plus le laisser comme secondaire, méprisé, source de stress. S’il doit investir, c’est d’abord là où la valorisation est la plus grande ; or, c’est bien la vente qui génère les 2/3 de la valeur d’un vin 2.
-limiter l’empreinte carbone par le digital : se déplacer partout dans le monde demande du temps, de l’énergie et beaucoup de fatigue ; la e-vente vient à nous dans ce temps de confinement. Réunions et rendez-vous en visio, animations et dégustations à distance, gestion par CRM ou OAD, communication par applications et réseaux sociaux, le digital ouvre des horizons qui permettent aussi au commerce d’intégrer un objectif environnement et de RSE.

Cependant, trop de ces nécessité échappent aux producteurs ; par manque de temps, d’envie, de capacité, de volonté, d’argent, … peu importe.

Demain, la mutualisation de l’aval, la mise en collectif effacent les failles individuelles : on le constate, la logistique, le marketing, le temps, la force de vente, le suivi client, la prospection, le budget d’investissement, la formation, … sont des moyens dont des structures en SCOP, pilotées par des groupes d’intérêt, des associations, des syndicats peuvent s’emparer et en garantir la finalité commune. Dans les années 1930, une crise a donné naissance aux coopératives (dont je le rappelle les deux objectifs politiques étaient la production et la résistance aux diktats des intermédiaires 3) ; celle que nous traversons ne deviendrait-elle pas propice à la fondation d’initiatives de services partagées ?

Toute crise est une opportunité.

Ces premiers axes de réflexion et de travail sont incomplets et surement imparfaits ; ils se veulent la traduction de deux vérités que l’on peut aujourd’hui mesurer une fois encore :
-quand nous nous retrouvons acculer, notre capacité d’adaptation et de changement se voit décupler ;
-#apresnedoitpasetrecommeavant.

A chacun d’entre nous de s’en emparer et de conduire ses choix ; n’oublions pas cependant qu’ils seront part d’un tout et que notre action a valeur commune.

1. définition CNRTL centre national de ressources textuelles et lexicales du CNRS.
2. Jean-Marie Cardebat in “The Palgrave Handbook of Wine Industry Economics”
3. « Une empreinte dans le vignoble: XXe siècle: naissance des vins d’Aquitaine d’origine coopérative » par Philippe Roudié

                 

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