CONTRE-EXEMPLES.
Au-delà des données factuelles qui en démontrent la fragilité, le modèle coopératif ne s’est-il pas égaré trop loin des valeurs qui l’avaient vu naître ?
Si l’on revient aux chartes qui ont précédé la fondation des caves coopératives (de la fin du XIXème siècle jusqu’aux années 1930), on trouve les fondements d’un « mouvement comme un instrument créé dans le cadre d’un idéal mutualiste, pour offrir à la petite et moyenne propriété de type familial des conditions d’exploitations qu’elles ne peuvent à elles seules (atteindre), tout en leur permettant de survivre aux crises successives. » Ainsi, en déployant des objectifs sociaux, qualitatifs, environnementaux et économiques, la coopération se voulait moyen de résistance collective à la fois aux aléas de la production et aux « diktats du négoce ».
Si l’aspect amont s’est sans cesse renouvelé, les dimensions commerciales et sociales se sont souvent effacées face à une double injonction qui se révèle aujourd’hui mortifère : grossir pour s’en sortir et rester le premier concurrent de son principal client.
Grossir pour s'en sortir.
D’une dimension cantonale, les caves ont cru à la logique des rapprochements et fusions successives pour atteindre une masse critique qui les rendrait incontournables.
Les coopératives sont en majorité devenues des unions : Alliance Loire rassemble 6 caves de Nantes à Villiers-sur-Loir ; 11 coopératives forment l’Union des Vignerons des Côtes du Rhône qui met en marché la marque Cellier des Dauphins ; sur les 37 coopératives qui commercialisent du Champagne, 15 se sont regroupées pour créer Union Champagne.
Cette course à la taille a amené à une logique « industrielle », capitalistique et au final peu compétitive ou valorisante dont l’apogée est atteinte avec des structures comme Invivo (12 milliards d’€d e CA pour 185 coopératives dont 10 viticoles).
Car cette puissance supposée n’a pas empêché la mise en redressement judiciaire d’Univitis, une des 10 entités du groupe.
Elle a conduit à une coupure du lien entre les producteurs et la mise en marché avec la création d’une société de vrac, seule interlocutrice des coop. et dont elles sont actionnaires minoritaires. La maison mère Cordier est elle détenue à 100% par Invivo.
Peut-on s’étonner alors d’une stratégie recentrée sur les vins à faible valeur ajoutée (MDD marques de distributeurs, 1ers prix et hard-discount) ? De voir la fourniture d’un vin AOC Côtes du Rhône à 1,99€ ? De constater que la marque d’effervescents Café de Paris « produit en France » est fabriqué avec du vin de base espagnol ? De retrouver Cordier parmi les négociants condamnés à Bordeaux pour « prix abusivement bas » ?
Les dérives du modèle coopératif sont loin d’être une spécificité viticole : mais dans un marché où la transformation de la matière première s’effectue au cœur de l’outil collectif, on peut s’étonner que la valeur du produit final ait à ce point échappé aux vigneron.nes.
Concurrentes de leur premier client.
Au final, ce qui frappe le plus dans la situation actuelle de la coopération reste leur dépendance au négoce.
Non que le modèle de vente via intermédiation soit obsolète mais outre qu’elles ont par là oublier leur volonté historique d’indépendance, les coopératives sont de fait dans une situation inconfortable, voir intenable : elles vendent à leur principal concurrent, en maintenant une part de vrac significative. Car ces volumes se retrouvent sur les mêmes marchés, vers les mêmes clients ; les marques de négoce sont en opposition frontale avec celles des coopératives.
Leur puissance mutualiste, leur capacité à embaucher des spécialistes auraient dû les amener à écouler par leur propre moyen, l’ensemble de leur production ; comme pour les vignerons en chai particulier, la clé de leur valorisation passe par la maîtrise de la commercialisation.
Se retrouver aujourd’hui simples fournisseurs de vrac au négoce, approvisionneur de circuits dont elles ignorent tout, les a appauvries.
Sources & citations :
-charte Fédération des coopératives vinicoles d’Aquitaine (1930 – 2012) ;
-Sud-Ouest l’UDP Saint Emilion en 1931 ;
–vitisphere.com ;