DÉBATTRE DU RÉEL.
L'émotion face aux faits.
Dans un moment de tension conjoncturelle et contextuelle, chaque article, chaque post suscite des réactions fortes. Amplifiée par les réseaux sociaux, cette résonance me renvoie de plus en plus de messages agressifs : on attaque le contenu de mes publications, leur forme, voire leur auteur (« l’idéologie des uns n’est pas la garantie du revenu des autres »).
Ces réactions se centrent sur trois problématiques : le prix (et le revenu des agriculteurs), le bio et le travail collectif (interprofessionnel souvent) ; s’il ne me remet pas en cause personnellement, il vitupère les uns ou les autres (« le bio ne peut nourrir le monde »), « l’ineptie complète de nos dirigeants », « la sphère bobo urbaine s’effondre », etc.).
Je suis sensible à ces retours véhéments tant je sais ce qu’ils traduisent de difficultés personnelles, d’épuisements et de souffrance. Je me retrouve dans une situation complexe où les faits se heurtent à l’émotion et où il est de moins en moins sûr dans notre société que ce soit les premiers qui l’emportent.
D’autant plus que l’on me somme parfois de prendre position : « êtes-vous pour ou contre ? » (telle personnalité, tel élu, telle institution).
D’autant plus que l’on m’oppose des rumeurs, des on-dit, des à priori, au mieux des informations filtrées, venues d’un client, d’un acheteur ou d’un fournisseur : ainsi, s’infiltre dans la contradiction, ce qu’il est convenu d’appeler des infox (fake news).
Réflechir.
Il est avéré que pour lutter contre ces données hasardeuses (ou manipulées), la vérification des faits (fact-checking) n’apporte rien : les gens se convainquent qu’on leur ment et plus on donne des preuves de l’inverse, plus ils se braquent.
Je crois donc à la réflexion : argumenter, discuter, débattre. Je réponds en dédramatisant l’enjeu et la virulence de l’interlocuteur ; je refuse le jeu du ping-pong de plus en plus véhément.
Surtout, je demande les sources : pour illustrer, si l’on m’affirme que le vin bio recule, que la demande baisse, je cherche à obtenir sur quelle base s’appuie une telle affirmation. Il m’est alors donné le panel de la grande distribution, abondamment repris par la presse jusque dans ces gros titres. Or, si en effet, les vins bio sont pour la première fois, en négatif (-0,4%), ils s’inscrivent dans un rayon vins qui dévissent de 8%, dans un circuit GD qui ne cesse de perdre des parts de marché (pour rappel entre 2010 et 2020, la grande distribution française a vendu 22% de vins en moins).
Or, le marché du vin ne se résume pas à la GD : en France, la consommation de vins bio a progressé de 9% cette année ; la consommation globale est stable.
Isoler un chiffre de son contexte, faire d’un exemple une vérité générale empêche toute réflexion, tout choix.
A partir d’un constat factuel, vérifiable, chiffré, peut s’instaurer la discussion : les arguments, les décisions, les stratégies peuvent différencier, s’opposer ; peuvent et même doivent pour stimuler notre créativité, notre capacité à réfléchir, à se remettre en question, à évoluer.
Je n’affirme pas avoir raison ; je relaie même souvent des études et des analyses que je ne partage pas : mais ce qui nous bloque, c’est l’absence même d’envisager toute alternative. On reproduit ce qui est fait, comme si l’on n’avait jamais procédé autrement. Regarder l’histoire prouve le contraire et nourrit un autre axe de réflexion.
S'unir.
Je voudrais conclure sur une pensée que nous voyons aujourd’hui comme caduque et inefficace : le collectif.
Partout, je vois surgir des initiatives promptes à se labelliser, à se chercher une légitimité. Tout autant que sur les réseaux sociaux, elles tendent à nous éparpiller en petits groupes homogènes, centrés sur eux-mêmes comme de rassurants cocons. Le mythe du colibri nous a fait penser qu’elles suffiraient à transformer la société humaine. Dans la réalité, elles légitiment une vision libérale et individualiste qui à la fin, ne règle aucun des problèmes structurels.
« Penser global, agir local ». Cette phrase issue des premiers mouvements pro-environnementaux et altermondialistes, a été réduite à sa seconde assertion.
Pourtant, quelle que soit l’échelle, un territoire, un pays ou le monde, rien n’avance sans cette vision générale qui demande une prise de distance, une volonté farouche et désintéressée du bien, de l’intérêt commun. Les différences comme les contradictions servent à avancer, à négocier vers un compromis (et non un vague et tiède consensus).
Pour toutes celles, pour tous ceux qui veulent commenter, répondre, résister, s’opposer, merci alors de se remettre dans ce cadre de départ qui, dépassé, ouvrira espérons-le, sur de vraies et durables solutions.